Après de longues années d’éclipse au profit de la théorie des orbitales moléculaires, la théorie de la liaison de valence, ou valence bond (VB), est maintenant devenue une théorie numériquement précise qui retrouve un crédit grandissant auprès des chimistes. On montrera comment la méthode VB peut donner un éclairage nouveau sur la nature de certaines liaisons chimiques, et sur la compréhension des barrières d’activation dans les réactions radicalaires.
La conception classique de la liaison sigma est celle d’une superposition d’une forme covalente et d’une forme ionique. De ce mélange résulte une énergie de résonance, sur laquelle est basée l’échelle d’électronégativité de Pauling. Cette énergie de résonance est supposée importante si la liaison est polaire, et nulle ou négligeable si la polarité de la liaison est nulle. Or ce schéma est mis à mal dés qu’on le teste par des calculs valence bond précis. Certaines liaisons homonucléaires, en particulier si les atomes liés sont électronégatifs et/ou portent des paires libres, ont une très forte énergie de résonance covalent-ionique, responsable de tout ou grande partie de l’énergie de liaison, au point que la composante covalente est très faiblement liante, voire répulsive.[1]
Loin d’être un simple amusement de théoricien, les liaisons résonnantes ont des manifestations expérimentales, incomprises jusqu’ici. On expliquera en particulier les différences de barrière entre les réactions d’échange HX + D → H + DX et XH + Y → X + HY (X, Y = halogène ou groupe isoélectronique), dont on montre en passant qu’elles constituent une mesure expérimentale de l’énergie de résonance covalent-ionique dans les liaisons polaires.[2] Les liaisons résonnantes sont également responsables de l’impossibilité pour les dérivés du silicium R3Si-X (X= tout groupe électronégatif) de se dissocier hétérolytiquement en solution, malgré le caractère évidemment polaire de la liaison Si-X.[3]
Les liaisons résonnantes sont également présentes dans les propellanes, composés stressés présentant une liaison C-C centrale plutôt bizarre…[4]
Références
[1] S. Shaik, D. Danovich, B. Silvi, D.L. Lauvergnat, P.C. Hiberty, Chem. Eur. J. 2005, 11, 658.
[2] P.C. Hiberty, C. Megret, L. Song, W. Wu, S. Shaik, J. Am. Chem. Soc. 2006, 128, 2836.
[3] P. Su, L. Song, W. Wu, S. Shaik, P.C. Hiberty, J. Phys. Chem. A 2008, 112, 2988.
[4] W. Wu, J. Gu, J. Song, S. Shaik, P.C. Hiberty, Angew. Chem. Int. Ed. 2009, 48, 1407.